À la croisée de l'art
& de l'artisanat
Les voies de l’inclusion : l’autisme sort du bois
Tout a commencé en mai 2008. Lors d’un séjour de rupture pour jeunes autistes organisé par l’association Le Silence des Justes : un atelier bois voyait le jour et allait ouvrir de sacrées perspectives !
La graine était plantée. Douze ans plus tard et grâce à une fructueuse coopération avec l’école Du Breuil, notre atelier/boutique Artbooster arborait ses premières œuvres, conçues nos artistes-autistes.
Pour vous raconter toute l’histoire, il faut remonter au printemps 2008. Du 1er au 20 mai, cette année-là, les jeunes sont à Morzine et c’est l’occasion pour eux d’effectuer un stage d’apprentissage adapté d’une semaine. Il s’agit alors de restaurer une table de ping-pong.
Nos menuisiers en herbe s’appellent David, Samuel, Jérémy et Malkiel. Pendant une semaine, ils vont plancher sur cette table de ping-pong, sous la houlette d’un chef de projet et encadrés par leurs éducateurs.
Ils vont développer des trésors de concentrations et des ressources insoupçonnées. Stéphane Benhamou (Directeur général fondateur du Silence des Justes) se souvient : « Dire qu’ils m’ont surpris serait un euphémisme ! Ils avaient l’air d’avoir des connaissances supérieures aux autres. J’étais scotché par leur dextérité et leur concentration. J’ai été sidéré aussi de voir l’effet de cette activité sur eux. Les bienfaits que ça pouvait leur apporter sans qu’il s’agisse de soins médicaux…
Cet apaisement, ce bien-être et cette satisfaction du travail accompli. ».
Des outils… pas seulement pédagogiques
Nos jeunes allaient être initiés à diverses techniques de menuiserie – découper, poncer, peindre, clouer, mastiquer ou coller – et donc au maniement des outils correspondants. Amenés à visiter la ville de façon pédagogique et socialisante, nos apprentis artistes-autistes visitèrent une scierie pour comprendre comment on passe du tronc aux planches, une quincaillerie pour acheter du matériel Ils apprirent encore les notions d’usinage, de rangement, d’argent, d’anticipation, de productivité, d’organisation dans le temps et dans l’espace (gestion d’une séance de travail) et aussi comment identifier ou contrôler le matériau bois.
Et l’aventure ne faisait que commencer !
Cultiver la menthe et les rencontres
C’est au printemps 2009 que fleurit un formidable partenariat entre
Le Silence des Justes et l’école Du Breuil. L’école d’horticulture de Paris, créée en 1867, est l’une des plus fameuses et anciennes au monde. Située au cœur du bois de Vincennes, elle forme les jardiniers de la ville de Paris et son domaine s’étend somptueusement sur 23 hectares. Un patrimoine végétal et botanique dingue. A l’issue de cette coopération entre l’école et le Silence des Justes, le projet « Faire pousser la menthe pour cultiver les rencontres » donna lieu à la plantation de 30 variétés de menthe, à l’entretien de ces cultures par nos jeunes, à la mise en place d’un nouveau potager et à de nombreux échanges enrichissants jusqu’en 2012. Une autre graine était plantée !
Il était une fois
C’est en 2014 qu’Étienne se greffa à l’équipe des Justes. Cela commença par un atelier « nature et découverte ». Étienne, formateur-éducateur, fît connaissance avec nos artistes porteurs d’autisme sans aucun à priori, sans aucune connaissance de leur niveau et de leur handicap. Il ne savait pas non plus où en étaient les équipes, pas plus qu’il ne connaissait leur environnement. Le Silence des Justes organisait déjà des séjours dans des fermes pédagogiques, où les jeunes autistes nourrissaient les animaux et s’exerçaient à certains travaux fermiers. Peu à peu, Étienne sut cristalliser l’élan créateur du « Silence » et l’idée d’Artbooster se mît à germer.
Après un temps d’acclimatation où Etienne comme nos artistes durent s’apprivoiser mutuellement, ils se mirent au travail sur de petits objets, des tâches réduites : des cabanes, une table à feu pour faire griller des chamallows, des cannes pour pêcher dans un ruisseau…
« On est parti sur du convivial, se rappelle Étienne. Et aussi sur les envies de chacun… Certains voulaient plus découvrir les plantes, alors on est allé voir les espèces dangereuses : ronces, orties, digitales… Avec des gamins qui peuvent tout mettre à la bouche, il fallait aussi que les éducateurs connaissent toutes ces choses… On a aussi travaillé sur les champignons ».
Toutes ces activités ont ainsi permis à Étienne de savoir « quels étaient les domaines qui les émoustillaient, où étaient leurs appétences et donc ce qu’ils avaient envie d’apprendre ».
Ne pas tourner en rond
Petit à petit, il comprit qu’ils pouvaient travailler ensemble de petits objets en bois. Avec Moïse au début – c’est un gamin qui tourne sur lui en permanence et qui est très difficile à cadrer – Étienne se dit « on va faire un objet qui lui ressemble : des toupies. J’ai réussi à le captiver. Était-ce bon ou pas, je ne sais pas. Je suis rentré dans sa stéréotypie ». Ensuite pour ne pas enfermer les enfants dans des répétition, Etienne sut aussi mettre tout cela de côté. Il chercha à élargir le cadre et le contexte, en prenant en compte les éducateurs, la famille, l’institution, la vie en général de chacun. Pour valoriser ces enfants au sein de leur famille, ils confectionnèrent des cadeaux pour la fête des mères, les autres fêtes, les anniversaires des frères et sœurs… Tout le monde commença alors à s’habituer à ces cadeaux et leur fabrication devint un rituel naturel… Mais de plus en plus technique et créatif !
Donner une âme aux objets
La dominante dans la création d’objets suit les tendances. Pour l’enseignement de nos apprentis artistes, on a tout intérêt à faire des objets bien construits ! L’idée c’est de fabriquer de la qualité pour compenser la faible productivité de notre atelier, avoir une vraie plus-value humaine et travailler des essences nobles. Chaque objet a une histoire. La devise de ce workshop c’est l’authenticité, c’est ce que nous voulons transmettre. Donner une âme à ces objets et un visage à la personne différente qu’il y a derrière.
Aller de l’arbre à l’objet : voilà notre credo, notre ADN ! On va dehors, on repère un arbre, on le coupe (sans oublier bien sûr d’en replanter 5 derrière !), on l’observe.On fait venir Lotfi, on lui demande « qu’est-ce que tu vois » ? Il nous dit « Oh je vois un avion ! ». Parfois, on n’est pas inspiré et on laisse l’arbre de côté un certain temps… Pour revenir ensuite dessus. « On travaille vraiment comme des créateurs. Tu as ta matière brute et il faut laisser germer l’idée… On regarde aussi ce qui se fait sur Pinterest. On se laisse porter, influencer, sans jamais copier bêtement. »
Le lundi et le jeudi, nos créateurs viennent à l’atelier toute la journée pour fabriquer des objets qu’on a préparé en amont à Sacy-Le-Grand (dans l’Oise), où ils ont aussi leur potager (de la graine à l’assiette est notre 2ème credo) !
« Quand Ilyes est arrivé, il ne pouvait pas toucher un bout de bois… C’était une réelle phobie, un dégoût physique insurmontable. Maintenant, c’est le jour et la nuit, il va chercher du bois de lui-même, sans se poser de question ».
Faire avec et faire ensemble
Le catalogue évoluera en fonction de l’accueil du public. On est arrivé à une certaine maitrise des outils : la plane pour écorcer le bois, le papier de verre… Certains procédés (voir ici en vidéo) comme l’électrification du bois aggloméré permettent de redonner une âme et un sens à des matériaux pas forcément nobles au départ. Mais il ne faut pas que ça devienne « gadget ». On pourrait ainsi électrifier des bois exotiques, qui réagissent très bien au procédé, mais on sortirait du cadre écologique et équitable que nous nous sommes fixés. Ce ne serait plus de la récup’ et ça n’aurait plus rien de local. Nous devons rester dans le « faire avec ». Et importer de l’érable ou de l’okume du Japon, juste pour électrifier ces bois rares, contredirait notre éthique et notre philosophie.
De Jackson à Chirac !
Loïc à l’origine était fasciné par les trains. Étienne lui ramena alors des bûches pour fabriquer des petits trains en bois. Il fût emballé, mais restait bloqué sur « métroneuf, métroneuf. Ligne 11… » et il dessinait des trains quasiment grandeur nature au feutre !
C’est en le voyant danser comme Michael Jackson qu’Étienne lui lança
« Et si tu dessinais Michael Jackson ? ». Loïc prit alors son meilleur feutre et se fendit d’une tête de M. Jackson, noire, brute, magnifique… qu’il recouvrit aussitôt de noir. Cela prit un peu de temps, mais maintenant, Loïc comprend que son œuvre plait au gens ainsi, non recouverte.
Pour faire un « Jackson », Loïc prend le téléphone d’un éducateur. En totale autonomie, il va chercher une photo de son héros qui l’inspire, il pose le téléphone et c’est parti ! Il dessine.
Histoire de le faire sortir un peu de sa « jacksonite », Étienne lui demande quel grand homme est décédé dernièrement. Et du tac au tac, Loïc lui répond « Jacques Chirac » ! Et la sortie de la bulle Jackson opéra…
Il dessine maintenant des Chirac, des Charlie Chaplin… On commence à avoir un vrai panthéon ! Dans la boutique, il a son propre présentoir avec tous ses portraits. Et son travail esthétiquement n’en finit pas de s’affiner. Il prend un crayon papier pour préparer son dessin, avant de l’encrer sur le bois. Et il a de la suite dans les idées ! Parfois, il est sur un Chirac, il s’arrête, Il va chercher un Chaplin et il lui fait son chapeau. Il y a une réelle continuité et il sait ce qu’il produit. Il sait ce qu’il a à faire.
Nos artistes, votre galerie
Cette boutique a pour ambition d’évoluer en fonction des envies de ses créateurs, mais aussi de vos goûts et de vos attentes ! N’hésitez pas à nous contacter et à venir nous voir ! Pour nous encourager, échanger et apprécier nos créations. Nous sommes à mi-chemin entre l’art et l’artisanat. Et c’est avec vous que nous allons trouver notre voie. Nous avons des créateurs hors normes et nous espérons que leurs œuvres vous parleront.
Le Silence des Juste remercie chaleureusement la Fondation Orange pour le soutien précieux qu’elle a apporté en finançant l’achat du matériel-outils de l’atelier.
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